KENDRICK LAMAR
STRAIGHT OUTTA COMPTON
Au lendemain de l’élection de Barack Obama à la présidence des Etats-Unis pour son second mandat, Kendrick Lamar est à Paris, la première étape de sa mini tournée européenne de promotion. Petit, posé sur un fauteuil, l’homme dont tout une culture attendait l’entrée est sagement affalé, fredonnant un air qui nous est depuis devenu familier. Tout de noir vêtu et visiblement enthousiasmé de se retrouver outre-Atlantique au lendemain de la réélection du premier Président noir des Etats-Unis, le dernier prodige du rap nous accorde un entretien pour nous parler de son parcours et de son futur.
L’élu Compton est un endroit qui évoque un millier de références en deux syllabes. Un endroit mythique dont tant fantasment mais où si peu peuvent s’aventurer, la Mecque pour les gangs et le lieu de naissance du Gangsta-Rap. C’est aussi de Compton que Kendrick Lamar est originaire. Dernier porte-flambeau de la ville, le jeune rappeur est la sensation du moment, l’homme qui change l’image d’une génération décimée par la culture du bandana. Si la frêle silhouette du protégé
de Dr. Dre ne laisse pas transparaitre un poids lourd du hip-hop US, Kendrick va vite devoir apprendre à accepter les attentes qui accompagneront inévitablement son changement de statut. Parce qu’avec le meilleur album de rap de l’année 2012 et peut-être le plus ambitieux début de carrière depuis Kanye West, certains voient en Kendrick un messie. Et son discours, aux antipodes de son humilité naturelle, trahit les pensées d’un homme se sachant habité d’une mission particulière. Le dernier prophète du hip-hop est monté en chaire.
La Genèse Il est communément admis dans la communauté hip-hop que tout artiste qui utiliserait l’une de ses photos de nourrisson pour en orner la couverture de son album annonce, par la même, avoir signé un classique du genre. De Nas à Biggie Smalls en passant par The Game et Lil Wayne, tous ceux qui s’y sont aventurés l’ont fait en étant convaincus de confortablement assurer leur place dans l’histoire du genre. Et la coutume se prolonge pour good kid, m.A.A.d. city. « Tout était prémédité depuis des années. Je savais déjà ce dont je voulais parler, le message que je voulais faire passer. J’avais déjà cette pochette d’album depuis longtemps. Je savais que j’allais l’utiliser et que c’était la meilleure description de ce dont je parlais dans l’album. Tout les détails sur lesquels nous nous étions attardés sont en train de venir à la lumière. »
Le sous-titre de l’album aussi – a short film by Kendrick Lamar – en dit long sur l’aspect prémédité de l’oeuvre et des velléités du bonhomme: « C’est un album, un film sombre. Je voulais retourner dans cet espace où je me trouvais durant toute mon adolescence. Tout le monde sait qui est Kendrick Lamar maintenant. Mais il a bien fallu qu’il vienne d’un certain endroit, d’une certaine époque, et de certaines expériences. Je savais que ce serait un classique, parce que cette génération n’en avait pas encore eu un. Je suis désolé mais c’est nouveau pour eux, ils n’ont pas connu la sortie d’un Illmatic ou d’un Reasonable Doubt. Je voulais qu’ils sachent ce à quoi une oeuvre cohérente pouvait ressembler. Je l’ai fait pour eux. »
En effet, après plusieurs mixtapes (Overly Dedicated et Kendrick Lamar EP notamment) et un album indépendant (Section 80), Kendrick décide de faire de son premier album en major une présentationen bonne et due forme de son environnement et de sa vie antérieure, tout en signant l’album que le hip-hop se sentait en droit d’exiger depuis une décennie. La Cité des Enfants Perdus Et l’on ne boude pas notre plaisir. Une oeuvre des plus minutieuses, good kid, m.A.A.d. city est d’une précision chirurgicale. Un album générationnel qui relate la folle virée d’un adolescent de 17 ans à travers la ville de Compton et qui conte ses différentes tribulations avant de rentrer rendre à sa mère une voiture qu’il lui avait « empruntée » plus tôt. L’aspect existentialiste et l’équilibre de l’oeuvre repose sur les personnages que le jeune homme rencontre lors de sa virée et qui vont lui imposer une introspection, aussi bien religieuse que philosophique.
L’ambivalence de ses valeurs et le tiraillement qu’il subit nous aide à nous identifier à cet adolescent perdu. Le tout nous est rendu digeste par la présence de « skits », une véritable pratique perdue dans le rap qui nous ramènent a du Ghostface Killah de la meilleure époque : « Les skits sont le liant du scénario. Ces skits sont joués par mes vrais parents. Ils m’ont élevé, alors j’ai décidé de les mettre dedans en tant qu’eux-mêmes. Et ce sont mes vrais potes jouant leurs propres rôles. L’histoire se goupille parfaitement.
Mes parents adorent l’album, ils aiment le fait que j’ai eu la possibilité de raconter ces histoires qui me tenaient tant à coeur d’une manière positive. » “AVOIR UN CONTRÔLE CRÉATIF TOTAL SUR SON ALBUM EST L'UN DES MEILLEURS SENTIMENTS AU MONDE. JE N'AURAIS PROBABLEMENT PAS PU FAIRE UN ALBUM AUSSI SOMBRE SI JE NE L'AVAIS PAS EU."
Kendrick Lamar joue plusieurs rôles dans ses chroniques adolescentes. Nous n’observons plus sa vie d’une fenêtre, nous sommes dans le van avec ses gars et lui. C’est en cela que les comparaisons entre cet album et le monumental Illmatic de Nas sont erronées. Si l’entrée en matière du roi du Queens était un chef oeuvre de description, Kendrick Lamar ne s’embarrasse des considérations contemporaines du rap et offre une oeuvre qui n’a pas d’autre ambition que de suspendre le temps. Un peu à la manière d’un Frank Ocean, une comparaison avec son pendant R&B que le MC ne renie pas du tout : « C’est ce qu’ils me disent. Je pense que c’est cool de voir que la jeune génération est prête à repousser ses limites en matière de sons et de story-telling. C’est ce que je retiens de l’album de Frank Ocean. Personne ne fait plus ça dans la mesure où les chanteurs masculins ne racontent plus d’histoires et n’essaient plus de faire des chefs d’oeuvre. C’est ce qui a fait du Confessions d’Usher un album si intemporel et réussi, c’est une excellente chose pour la musique que ça revienne au goût du jour.»
Il est intéressant de voir ce que ces jeunes hommes feront une fois que leurs carrières respectives n’en seront plus à leurs balbutiements.